NADOR : QUAND LES LOTISSEURS CLANDESTINS CONSTRUISENT LA VILLE.

19 مايو 2014آخر تحديث :
NADOR : QUAND LES LOTISSEURS CLANDESTINS CONSTRUISENT LA VILLE.


image003Omar Naji*

La problématique de l’habitat sous- équipé à Nador ne se limite pas à l’habitat dit clandestin édifié en matériaux durs et sans permis de construire, mais il englobe aussi un type d’habitat que l’administration autorise à grande échelle dans des secteurs dépourvus d’équipements de base tels que la voirie, l’assainissement et l’eau potable.

La différenciation morphologique entre ces deux composantes est d’une grande difficulté. Issues toutes les deux d’opérations de lotissements clandestins, sans équipement de VRD et construits en durs  parfois en matériaux de luxe, les deux catégories ne se distinguent, dans la majorité des cas, que par l’existence ou non d’un permis de construire.

Au cours de son siècle de genèse, la ville de Nador créée ex-nihilo au début du XXème siècle n’a connu les premiers îlots d’’habitat sous- équipé  qu’à partir de la moitié des années 70 en totale coïncidence avec des mutations importantes sur le plan économique et institutionnel :

Sur le plan économique, Nador a connu les premiers effets de l’émigration internationale, de la professionnalisation de la contrebande et plus tard du commerce internationale du cannabis. Cette trilogie dite infernale a eu pour première conséquence le déclenchement d’une migration intérieure du reste du Maroc vers Nador et l’injection de capitaux énormes en quête de légitimation dans le sol urbain et par conséquent, une spéculation effrénée qui a eu pour conséquence une hausse vertigineuse des valeurs foncières et immobilières égalant celles des grandes métropoles.

Sur le plan institutionnel, cet éclatement a coïncidé avec le transfert d’importantes prérogatives en matière d’urbanisme aux conseils communaux suite à l’adoption de la charte communale de 1976 et la précarité des structures représentant l’autorité gouvernementale chargé de l’urbanisme à Nador avec comme conséquence un retard de plus en plus cumulé dans l’élaboration des documents de planification spatiale.

En terme d’ampleur, La lecture et l’exploitation des restitutions, des photographies aériennes et des photos satellites, a permis de constater que la situation est alarmante. Plus de 70% de la surface urbanisée jusqu’en 2012 a été produite par des lotissements clandestins dépourvus d’équipement de VRD. Dans cette proportion importante, l’administration a autorisé près de 50% de la surface totale urbanisée alors que les 20% restant représentent la part de l’habitat clandestin. En revanche, les lotissements réglementaires dont les équipements sont achevés ne représentent que 30% de la surface totale urbanisée. Cette dominance de l’habitat sous- équipé sous ses deux formes, montre clairement que les lotisseurs clandestins sont les vrais acteurs derrière l’extension spontanée et anarchique de la ville de Nador.

L’habitat clandestin est concentré dans des quartiers de Tirekâa, Igounaf et Bouarourou et les extensions ouest d’ouled Boutayeb, alors que l’habitat sous- équipé autorisé s’étale sur toutes les nouvelles extensions de la ville telles que Lâarassi, Arrid, Ouled Boutayeb, Tizirine, Al Faid, Barraka, Ouled Lahcen, Ouled Mimoun, Bouchuouaf, Ichoumay- Issabanène et Châala.

 La répartition de la population selon cette typologie d’habitat montre que 48% des Nadoris sont hébergés dans des quartiers d’habitat sous- équipés. Cependant, ce pourcentage est sûrement plus grand étant donné que 42% de la population habitent des quartiers mixtes présentant les deux typologies.

Cette réalité plus ou moins ancienne se confirme actuellement. En effet,  depuis 2010 on assiste à un retour en force des lotisseurs clandestins qui ont rapidement mobilisés les terrains nouvellement annexés au périmètre urbain pour satisfaire une demande pauvre longtemps écartée par l’offre réglementaire(1).

Ainsi les vagues étendues situées au nord des quartiers Igounaf et tikekâa ; le quartier Ouled Boutayeb ; Tizirine à l’Ouest et même le périmètre irrigué de Bouareg au Sud, qui sont les seules extensions possibles de la ville, représentent actuellement les principales concentrations d’habitat clandestin hypothéquant ainsi, pour une grande part, tout effort future de planification et de structuration de ces espaces péri-urbains.

Ce retour en force des lotisseurs clandestins n’a pas épargné même le périmètre d’intervention de l’agence Mar Chica censé mieux protégé par la loi 25-10. Rien qu’en 2012 et 2013, pas moins de 3000 nouvelles constructions clandestines furent identifiées et verbalisées par le système de contrôle mis en place par la Province l’agence urbaine et l’agence Mar Chica.

La totalité de ces P.V de contraventions a concerné les acquéreurs finaux qui représentent le maillon faible de cette puissante filière bien structurée. Paradoxalement, aucun des lotisseurs clandestins qui sont pourtant les principaux acteurs de cette filière n’a fait l’objet d’une poursuite judiciaire ou d’une procédure de répression conséquente.

Au lieu de s’attaquer à une vingtaine de lotisseurs clandestins bien connus des services compétents en appliquant les outils juridiques existant ou les amendes peuvent atteindre 1 MDhs pour chaque infraction, les autorités préfèrent viser les milliers d’acquéreurs qui, au bout d’un long parcours, ont pu accéder au sol urbain  périphérique qui constitue la seule possibilité permise pour eux pour se réjouir du droit à un logement plus ou moins décent.

 Cette dominance des opérations de lotissements clandestins se répercute sur le niveau d’équipement des quartiers. Ainsi, concernant la voirie,  Nador affiche des taux de desserte très modestes pour une grande ville appelée à donner l’exemple en matière d’aménagement urbain pour toute la Province. 28% de la surface urbanisée est totalement dépourvue d’aucune voie goudronnée alors que  44% de cette même surface est pourvue d’une structure viaire insuffisante et précaire. Seul 28% de l’aire urbanisée affiche un taux de desserte satisfaisants, en l’occurrence le centre historique et le secteur aviation.

Quant au réseau d’assainissement, le taux de branchement de la population, selon le schéma directeur d’assainissement liquide, ne dépasse pas les 46%, soit en surface urbanisée près de 50% seulement. La moitié restante reste, jusqu’à nos jours dépourvue d’un réseau d’égouts moderne.

Comment sommes-  nous arrivés à cette situation ? Et pourquoi une grande ville comme Nador continue à être en marge des notions élémentaires de cet outil juridico- administratif  qu’est l’urbanisme ?

En plus des causes générales qui, peuvent être derrière de telle situation telles que :

– la complexité du foncier hérité du Protectorat espagnol, caractérisé par la dominance du statut Melk avec le plus faible taux d’immatriculation de toutes les grandes villes du Nord et une structure foncière des plus émiettée

– les effets spatiaux d’une économie urbaine souterraine qui a longtemps cherché à légitimer des capitaux énormes dans le sol urbain.

Nador pouvait en dépit de tous ces facteurs offrir un espace urbain de qualité si en matière de gouvernance et de gestion urbaine, le minimum d’efforts fut déployé.

Pour comprendre le mode opératoire de cette filière de production de l’habitat sous équipé, il faut identifier les outils actuels qu’utilise l’administration dans sa gestion quotidienne de l’espace urbain à Nador. Il s’agit principalement de 3 outils :

–                      Dans la phase de morcellement des propriétés foncières, l’administration se contente de délivrer illégalement des attestations administratives objet des articles 35 et 61 de la loi 25- 90 relative aux lotissements, groupes d’habitation et morcellement pour permettre aux lotisseurs clandestins d’opérer les morcellements désirés et vendre des lots destinés à la construction sans aucune participation à la réalisation des équipements urbains ;

–                      Dans la phase de construction, la commission de voirie approuve indirectement de tels lotissements clandestins en donnant son aval pour des constructions isolées sur des terrains non raccordés aux réseaux d’assainissement et d’eau potable comme le prescrit clairement la loi 12- 90 relative à l’urbanisme. Près de 85% des dossiers de constructions approuvés par cette commission au cours des 15 dernières années ne sont pas inscrits dans des lotissements réglementaires équipés ;

      –    Dans la phase d’occupation des logements, l’administration, encore une fois, se contente de délivrer illégalement des attestations administratives qui remplacent le permis d’habiter et permettent l’approvisionnement de ces logements en eau et électricité et leur raccordement au réseau d’égouts.

Devant cette position d’encouragement des lotissements non réglementaires, on peut se demander pourquoi les lotisseurs clandestins vont-ils  cesser de profiter de ce laxisme et s’orienter vers une production légale ? Personne ne les oblige !c’est probablement la raison pour laquelle  que Nador, malgré les disponibilités financières importantes, n’a jamais connu l’apparition de grands groupes immobiliers structurés à l’instar d’autres villes du Maroc.

En autorisant l’urbanisation des secteurs non équipés, l’administration n’ajourne pas seulement la réalisation des équipements du P.A, mais exclut surtout, toute possibilité de participation des lotisseurs clandestins aux frais d’équipement de la ville. En réalité, elle ne fait qu’adopter et régulariser les plans de lotissements clandestins réalisés par ces propriétaires.

 Ainsi, il apparaît que Nador est géré en matière d’urbanisme par des outils aussi bien  archaïques qu’illégaux et tout à fait en marge des notions élémentaires de l’urbanisme moderne et des outils d’aménagement de base. Elle représente  la ville idéale pour étudier, observer et suivre les effets spatiaux d’une économie urbaine souterraine  dont les acteurs ont pu « dresser» la norme d’urbanisme et imposer des procédures parallèles permettant une libre injection des capitaux en quête de légitimation dans le sol urbain.

Même le plan d’aménagement,  ce document juridique imposable devient, dans le cas de Nador un outil totalement inopérationnel étant donné que les surfaces prévues aux équipements,  jugés généreux, vont à l’encontre de la stratégie des lotisseurs clandestins de céder et de construire la totalité des parcelles sans laisser que des ruelles étroites.

L’évaluation et le suivi de réalisation des trois derniers P.A de la ville de Nador a montré des taux de concrétisation très faibles.

En effet, si dans le P.A de 1971 ce taux s’élève à 69% pour les voies d’aménagement et 53%  pour les places et les parkings, dans les P.A de 1984, ces ratios ont chuté respectivement à 18% et 0%. Tandis qu’en 2002, ils atteignent à peine 44% et 11%. Ainsi, les pertes en voirie au terme de ces trois documents d’urbanisme ont atteint une superficie choquante qui est de 80 Ha, ce qui explique largement l’absence presque totale d’une voirie hiérarchisée dans la majorité des quartiers de Nador.

L’inexistence d’un tracé viaire claire et de voies carrossables dans la plupart des quartiers importants de la ville, donne à Nador un aspect de ville sans voirie où pullulent des constructions dans tous les sens sans aucun ordonnancement.

Concernant les espaces verts, la situation est pire encore, étant donné qu’aucun nouvel espace vert prévu par les trois P.A des années 71-84 et 2002 n’a été réalisé. Au cours de cette longue période de planification urbaine, la ville de Nador a perdu définitivement des superficies importantes d’espaces verts qui dépassent les 17 Ha au profit de lotissements clandestins, faisant d’elle l’une des villes marocaines ayant les plus faibles ratios en espaces verts(2).

Ainsi, même la protection juridique de ces équipements, combien utiles à la ville par des documents d’urbanisme homologués, n’a pas permis de stopper la boulimie dévorantes des lotisseurs clandestins qui ont su dépasser la norme juridique et mobiliser les terrains réservés aux équipements urbains pour satisfaire une demande très solvable.

Ce déficit cumulé au fil du temps rend toute possibilité de rattrapage extrêmement difficile et coûteuse, comme ils l’ont montré les différents programmes de mise à niveau lancés depuis 2007. En ouvrant de nouvelles voies, en aménageant de nouvelles places de certains espaces verts et en apportant le mobilier urbain, ces travaux qui ont coûté la bagatelle de presque 400 MDhs, n’ont permis qu’une amélioration partielle du paysage urbain et du cadre de vie de la population.

L’administration, dans une vision prospective, doit rehausser ces moyens de gestion urbaine en traitant une grande ville comme Nador avec les outils et les formules les plus performants pour sa mise à niveau tant attendue. Ceci implique le dépassement urgent des méthodes anciennes qui ont prouvé leur échec et qui constituent une couverture légale pour toute la filière de production de l’habitat sous- équipé.

_______________________________

(1) La mise en place de l’agence urbaine en 2003 et l’agence Mar Chica en 2010 cumulant toutes les prérogatives en matière d’urbanisme et l’élaboration d’un plan d’aménagement spécial n’a pas permis une réelle amélioration dans la production des espaces urbains.

(2) Malgré les dernières réalisations dans ce domaine, le ratio d’espaces verts par habitant à Nador, qui est de 0.74m2/Hab, reste très faible en comparaison à d’autres villes marocaines et à la norme de l’organisation mondiale de la santé qui recommande 12m²/ habitant à moins de 300m du domicile.

Bibliographie :

(1) Crozier et Friedberg: L’acteur et le système, Ed seuil, 1977.

(2) Aziz El Maoula El Iraki: Des notables du Makhzen à l’épreuve de la gouvernance Ed L’Harmatan- INAU- 2002.

(3) ABOUHANI : Pouvoirs, villes et notabilités locales. Quand les notables font les villes. Urbama, 1999.

(4)   Berriane et Hopfinger : Nador petite ville parmi les grandes, Ed Urbama  1999.

* Ingénieur en chef et Urbaniste.

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التعليقات تعليق واحد
  • hassane
    hassane منذ 10 سنوات

    Article argumenté ; profond ; qui décris la pire réalité de d’urbanisation dans la ville de nador : malheureusement L’avenir de cette ville est condamné a jamais

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